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Livre IV

Apocalypse

Selon Émilie.

Lorsque je suis arrivée pour l'accompagner, il était en train de faire quelque chose qui, pour lui, devait représenter plus que de l'intimité. Je crois même que ce n'est intime que si l'on se met à sa place. Je ne dis pas que rêver d'autrui est trop intime pour chaque personne… Non, je dis juste qu'il y a certaines choses qui ne doivent pas être dites, ni même écrites. Mais je crois qu'il ne peut s'empêcher d'y penser. De se le dire en lui-même, et peut-être même de le voir. Pas de manière physique, mais plutôt d'un côté beaucoup plus sensuel.
Il est descendu avec une mine triste. Toute personne ne sachant pas ce qui allait se passer aurait pensé qu'il s'était levé du mauvais pied car il avait l'air de mauvaise humeur, renfrogné, l'air lasse, maussade… Tous ces adjectifs qui pourrait expliquer son humeur. Il faisait peine à voir dans ses habits encore froissés par une nuit sans sommeil. Des cernes soulignaient ses yeux à moitié vitreux et endormis.
Il ne prit même pas une seconde pour me dire bonjour, mais je le comprenais amplement, à sa place j'aurais été comme lui.
Je ne pense pas que nous ayons mis plus d'une vingtaine de minutes pour arriver à bon port. Je le voyais marcher vite, puis ralentir, accélérer, stopper pour respirer un bon coup et repartir de plus belle. Il ne voulait pas parler, et je ne l'y ai pas forcé. Si je brisais sa réflexion, sa pensée, je croyais que cela ruinerait son très proche avenir. Cela aurait sûrement annihilé tout son courage. Il pourrait perdre tous ses moyens et disparaître devant l'obstacle. Donc je ne dis rien.
Nous sommes arrivés en avance. Le hall était presque désert, mises à part les quelques technicienne de surface qui donnaient leur dernier coup de balai pour la journée. Mes talons martelaient le sol, et je crus que c'était le bruit sourd de mes chaussures qui l'avait figé. Mais quelques secondes plus tard, je m'aperçus qu'il n'en était rien.
Il était là. Assis à attendre on ne sait quoi. Il avait le nez penché sur un livre qu'il dévorait des yeux, ce qui était perceptible rien qu'à sa façon de le tenir, ou de tourner les pages. Décidément, tous ses gestes montraient bien qu'il n'était pas violent du tout. Il touchait son livre avec tant de délicatesse que l'on aurait pu croire à un ange descendu sur Terre pour accomplir on ne sait quel action.
En fait, je ne savais que faire. Le pousser pour en finir au plus vite, ou attendre qu'il se décide à avancer un pied après l'autre.
L'attente fut de courte durée, car déjà, Thomas regardait dans notre direction avec son sourire d'ange. Sans ménagement, je pris le bras de Cédric, pour le tirer vers lui. Son visage était comme décomposé, rouge, et surtout plein d'envie.
Lui tendant une joue lorsque j'arrivai assez près de lui, il me tendit la sienne, pour me souhaiter une bonne journée. Puis il serra la main de Cédric, qui tremblait de plus en plus. Je le libérai donc de mon emprise, voulant voir ce qu'il allait faire. Ce fut alors que je vis son cahier, qu'il tenait si fermement en main. Les articulations de ses doigts étaient blanches tellement il serrait son ouvrage. Je suis curieuse de nature, alors j'ai essayé de le lui prendre, mais sa réponse fut des plus claires. A la limite de m'arracher le bras, il voulait très distinctement me signaler que toute chose lui appartenant n'appartenait certainement pas à autrui.
Je dois l'avouer, j'ai eu peur, sur le moment, puis il s'est calmé et a enfin réussi à dire quelques mots.
Il le priait de s'éloigner un peu du chemin des autres étudiants, pour parler en privé. Alors nous avançâmes vers le fond du hall, ou aucune personne ne pourrait nous entendre, sauf si elles voulaient vraiment écouter la conversation.
Le pire, c'était que Thomas ne comprenait sûrement pas pourquoi tant de sécurité, d'intimité pour une conversation, qui pour l'instant ne tournait que sur les pronostics des examens. D'ailleurs, il arborait toujours son sourire d'ange.
Puis Cédric l'avertit enfin de ses intentions, ce qui fit disparaître le sourire de Thomas pendant deux ou trois secondes, pour finalement se forcer à sourire.
Ce ne fut qu'au moment où il lui avait demandé de le regarder droit dans les yeux que toute joie, toute compassion, toute compréhension s'envola définitivement. Il devait voir que c'était un long et terrible moment pour Cédric car il attendit, encore, et encore avant qu'il ne prononce ces mots qui tueraient plus d'une personne sur place. Pourtant il les connaît ces mots.
Il lui dit ces mots. Il lui dit et attendit que Thomas lui dise ce que lui ressentait. Il voulait savoir, et moi aussi. Mais pas le moindre son. Pas le moindre signe.
En fait, je ne sais pas ce qu'il pensait à ce moment, mais Cédric, lui, attendait un quelconque signe, peut-être même une réponse. Mais rien ne passa ses lèvres.
Ils se regardaient dans les yeux et le temps passait. Je voulu l'emmener loin de lui pour briser ce terrible moment. Mais à peine lui ai-je effleuré la main, qu'il se retourna et courut vers la sortie. Je me lançai alors à sa poursuite, suivi de près par Thomas, qui ne disait toujours rien.
A l'extérieur, tout est allé très vite. Passant d'une rue à une autre, Cédric essayait tant bien que mal de nous semer, jetant dans une poubelle l'objet si précieux qu'il tenait dans ses mains. Je continuai mon chemin sur dix ou quinze mètres tandis que Thomas plongeait sa main dans ladite poubelle. M'apercevant de la découverte, je revins sur mes pas, toujours aussi curieuse.
Je laissai donc Cédric dans sa course folle, et restai un peu avec Thomas, qui avait commencé à lire la première page du journal.
Il me regardait, puis regardait les pages. Il avait commencé à lire, et moi je lui disais qu'il fallait sûrement lire les dernières pages.
Il prononça alors les mots qui auraient pu rompre le silence, qui auraient pu arrêter cette course poursuite. Il me demanda juste où Cédric se rendait. Cédric… Avec un pas aussi pressé.
Et moi, je lui répondis naïvement qu'il allait en direction de la falaise. C'était le seul endroit où il se sentait en paix. Et il me dit qu'il fallait que je le prévienne dès que je l'aurais retrouvé.
Alors je partis, sachant qu'il était sûrement arrivé au bord de la falaise, et en arrivant là-bas, je vis sa silhouette au bord du précipice. Je l'appelait, et allongeait mes enjambées pour arriver le plus vite possible en haut.
Il était là. Debout, regardant le vide. Pour faire de l'humour et dédramatiser un peu la situation, je plaisantai en lui disant que c'était très haut. Puis, sérieusement, qu'il ne fallait pas sauter. Que ce n'était qu'un jeu. Oui, ce n'était qu'un jeu après tout. Mais quel jeu pourrait rendre un homme à ce point désoeuvré. Livré à ses peurs les plus profondes. Je ne croyais même pas ce que je disais, mais si cela pouvait le convaincre de ne pas sauter… Ce n'était qu'un jeu.
Et je me suis rappelée la condition qu'il m'avait imposée. Ne rien leur dire, ne rien Lui dire, sauf cas exceptionnel. Et là, je crois bien que c'était un cas exceptionnel. Alors, je pris mon téléphone et appelai Damien pour qu'il vienne. Pour qu'il vienne le plus vite possible.
Je priai Cédric d'attendre l'arrivée de Damien, et je m'assis par terre pour discuter durant cette attente.
J'ai donc commencé par revenir sur ce dont nous avions parlé dans le parc. Je lui ai dit ce que les autres pensaient de lui. Ce qu'était un véritable ami. Je lui ai parlé des vraies raisons qu'ont les gens pour ne pas accepter la bisexualité de nos jours.
Ce fut alors que Damien me rappela pour avoir plus de précisions sur le lieu où nous nous trouvions. Il est arrivé, avec les mêmes questions que j'avais posées à Cédric.
J'entrepris alors de téléphoner à Thomas, en lui disant que Cédric était bien là où je l'avais prédit.
J'ai expliqué à Damien la situation dans laquelle Cédric m'avait mise. Et persévérant dans sa quête de vérité, il arracha la première révélation. Oui, c'était toi qu'il aurait voulu se taper dans la pièce, lors du jeu. Et non, ce n'est pas toi qu'il aime.
Et alors, dans un sanglot, Cédric prononça le nom de… Thomas.
Le silence s'installa. Il empli l'atmosphère, pesa sur au dessus de nos têtes jusqu'à l'arrivée précipitée de Thomas.
Il tenait toujours le journal dans ses mains, et s'avança près de Cédric.
Il jeta alors le journal. Après des dizaines de mètres de chute, le cahier heurta les galets et quelques pages se déchirèrent, s'envolant par-ci par-là.
Il lui parlait tout bas, et je n'arrivais pas à entendre. Je voyais même Damien, s'escrimant avec curiosité à écouter ce qui se disait.
Cédric tourna alors la tête vers Thomas. Il sourit. Alors Thomas prit la mâchoire de Cédric, passa sa main dans les cheveux de Cédric, lui dit que ce serait la seule fois où il l'embrasserait, et approcha doucement ses lèvres des siennes. En contact, ils entrouvrirent leurs lèvres, fermèrent leurs yeux, laissèrent passer leurs langues, qui se tortillaient dans tous les sens, se touchant, se séparant, et renouant le contact.
Je les voyais, les yeux fermés. Cédric avait les larmes aux yeux. Je voyais aussi Damien, les regardant avec un mélange de gourmandise et de dégoût.
Je souris car je comprenais les intention de Thomas, mais je savais qu'il ne l'aimait pas. Je savais qu'il l'embrassait pour une bonne raison, qu'il ne l'embrassait que pour le convaincre de ne pas sauter.
Ils se détachèrent l'un de l'autre. Thomas avait ouvert les yeux et voyait, comme moi, le visage de Cédric, les larmes perlées sur ses joues, traversant les paupières toujours closes.
Thomas lui dit qu'il sera toujours là pour lui. Qu'il continuera de lui parler, et même qu'il restera avec lui le temps qu'il voulait. Il lui dit qu'il ne le gênera jamais. Qu'il lui dira tout, s'il voulait savoir. Qu'il pouvait tout lui dire, s'il voulait parler. Il lui promit tout. Mais ce baiser serait le seul, l'unique, le premier et le dernier.
Damien, qui avait repris ses esprits, s'approcha de Cédric, et lui sourit pour lui faire comprendre qu'auprès de lui aussi, il trouvera du réconfort. Qu'il n'est pas seul.
Alors je m'approchai pour l'éloigner du bord de la falaise. Je lui pris l'avant-bras et le tirai vers la vie. Il tomba alors à genoux devant moi. Il pleura. Je ne savais pas s'il s'agissait de larmes de joie ou de désespoir.

Selon Damien.

Je ne pensais pas qu'il aimait véritablement les hommes. J'avais juste posé la question. Comme cela, inconsciemment. Comme cela, involontairement. Et voilà où cela nous avait amenés.
Je savais qu'en ce moment même, il avouait son amour à celui ou celle qu'il aimait. Je marchais tranquillement en direction de la faculté, mais je savais qu'il avouerait son amour aujourd'hui.
Depuis cette soirée, je n'avais plus les idées en place. Je ne pensais pas qu'un jour, je changerais la vie d'une personne. Je crois bien que je vais totalement modifié sa vie. Et malheureusement, je l'ai modifiée en mal et non en bien.
Il est huit heures passées. Que se passait-il ? Je ne voyais ni Emilie, ni Cédric. Ils auraient dû être là depuis un moment. Dans le hall, les derniers étudiants couraient vers leurs salles.
Dans l'amphi, personne ne semblait remarquer leur absence. Et pourtant, Cédric n'était pas une personne qui s'absentait sans raison. Je me demandais où il pouvait être, et avec qui. Je ne croyais pas qu'Emilie était avec lui en ce moment, vu l'épreuve que nous lui avions fait subir. Je pensais qu'il devait être seul. Quelque part où personne ne pourrait le déranger.
Le cours était de plus en plus lassant. Même les paroles du prof n'arrivaient pas à m'extirper de mes pensées. Je n'arrivais pas à oublier le visage de Cédric lorsque je lui avais expliqué son gage. Un visage de mort. Si décomposé qu'il se serait effrité au moindre coup de vent.
Il m'a semblé que mon portable sonnait. En fait, il vibrait, je décrochai quand même et me cachai pour que le prof ne me voit pas répondre. C'était Emilie. Elle me dit qu'il fallait que je la rejoigne le plus vite possible. Mais je lui expliquai qu'étant en cours je ne pouvais pas venir.
Elle me répliqua sèchement que les cours avaient moins d'importance que ce qu'il allait se passer si je ne venais pas immédiatement. Je lui demandai donc où elle se trouvait et avec qui. Ce fut alors qu'elle me demanda de venir seul, et que c'était pour Cédric.
Je quittai donc le plus discrètement possible la pièce. Je crois bien que le prof ne m'avait même pas remarqué. Je me dirigeai directement vers la falaise. Il ne comptait pas sauter, en tout cas je l'espérais. Je ne le voyais pas faire cela. En fait, il faut dire que je ne le voyais pas bisexuel non plus. Ce n'est donc pas une preuve de ma lucidité sur cette affaire.
Je courais de plus en plus vite vers la plage. Mes mains transpiraient tellement, que mon téléphone risquait d'être noyé si je ne l'avait pas ranger dans ma poche.
J'arrivai en aspirant de très grandes bouffées d'air. Je ne savais même pas de quel côté ils étaient montés, et à vrai dire, je ne savais même pas par où il fallait monter.
Je ressortis donc mon portable, et cherchai le numéro d'Emilie dans mon répertoire. J'appelai. Tûûûût, tûûût, tûûût. Elle décrocha.
« Allô, c'est Damien, il est toujours là ? » … « Oui ? Où êtes-vous ? » … « En amont ? Mais par où je dois passer pour vous rejoindre? » … « Ok, l'entrée est où ? » … « Celui que l'on voit de la plage ? »
Elle raccrocha. Je devais me dépêcher.
Je voyais l'entrée tu sentier, le blockhaus.
Je suivis le chemin.
Ils étaient là. Tous les deux.
J'expliquai brièvement comment j'ai fait pour partir en plein cours, et je me tournai vers Cédric pour savoir la raison qui l'avait fait venir ici.
Il ne dit rien, et Emilie m'expliqua qu'il lui avait dit toute la vérité, elle savait à qui il devait avouer son amour, mais qu'elle ne pouvait pas me le dire. Que ce n'était pas à elle de le dire. Mais moi aussi je voulais tout savoir. Qui il voulait embrasser, qui il aimait.
Emilie téléphona à quelqu'un d'autre, lui expliquant qu'ils étaient bien là où elle l'avait prédit, que nous l'attendions. Mais apparemment, cette personne les croyait seuls.
Il fallait que je vienne aussi ? Mais pourquoi moi, et pas quelqu'un d'autre ?
Alors je demandai pourquoi j'étais là.
Je me fichais éperdument de l'accord qu'ils avaient passé ensemble, je voulais juste savoir pourquoi j'étais le seul à devoir venir.
Cédric venait de dire que c'était moi. C'était moi qu'il voulait embrasser. Moi ? Mais alors, pourquoi ne m'avait-il pas dit qu'il m'aimait ?
Ce n'était pas moi qu'il aimait ?
Je comprenais pourquoi il était si pâle. Je comprenais pourquoi il avait fui. Mais qui était-ce, alors ? Et que s'était-il passé ?
Il arrivait ? « Il » ? Et en plus je le connaissais.
Mais qui cela pouvait-il être ?
Il parlait encore. C'était… Thomas ?
Ce n'était pas possible ! Thomas ?
Je n'aurais jamais pensé à lui. Thomas. Je…
Quelqu'un grimpait. Je l'entendais. C'était Thomas. Il était à bout de souffle, et tenait dans ses mains un cahier. Que devais-je faire ? Que devais-je dire ?
Thomas s'approcha de Cédric, il se mit à sa droite, tendit le bras et lâcha le cahier. Dans sa chute, deux ou trois pages se détachèrent, et ce fut avec violence qu'il heurta les galets. En quelques secondes, la marée emporta le livre, ne laissant aucune trace de son passage.
Je le voyais parler. Que lui disait-il ?
Il lui disait qu'il répondrait bientôt à sa question, mais qu'il devait écouter ce qu'il avait à dire avant.
Il lui parlait de son enfance. Il lui parlait de l'école. Il lui parlait de ses peurs. Il lui parlait de ses moments de bonheur.
Cédric pleurait, mais souriait à chaque évocation de Thomas.
Il lui rappela la première fois où ils s'étaient croisés. Il lui expliqua comment il le trouvait. Il lui dit qu'il le trouvait trop bruyant. Il lui dit qu'il le trouvait grand, plutôt beau gosse pour un homme de cette envergure. Il lui dit qu'il ne l'avait pas quitté des yeux le jour de la rentrée universitaire.
Il lui rappela aussi la première fois où ils s'étaient parlés. Il lui dit qu'il l'avait trouvé plus timide qu'exubérant. Il lui dit qu'il était envoûtant, qu'il buvait presque ses paroles. Qu'il le trouvait cultivé pour son âge, digne d'intérêt, qu'il avait un grand potentiel. Il le regardait.
Cédric, lui, regardait toujours en contrebas. Thomas tendit le bras et posa sa main sur l'épaule de son interlocuteur, lui demandant de le regarder.
Les yeux dans les yeux, il lui dit qu'il pensait à lui.
Il lui raconta les heures passées dans la même pièce. Il lui raconta une année entière à croire à des illusions qui, pour lui, ne se réaliseraient jamais. Il lui raconta comment il se sentait lorsqu'il lui parlait. Il lui raconta pourquoi il n'avait jamais osé lui dire un seul mot n'ayant aucun rapport avec les études, de peur de passer pour un idiot.
Il lui raconta ce qu'il endurait depuis plus de onze ans. Il lui raconta les mensonges qu'il avait dû inventés pour faire croire aux autres qu'il était ce qu'il n'était pas. Il lui raconta ce qu'il faisait lorsqu'il rentrait chez lui. Comment il avait réussi la plus belle photographie de celui qui était, qui est, et qui sera toujours l'une des personnes les plus importantes de sa vie.
Il retira sa main de l'épaule de Cédric et la posa tendrement sous la mâchoire du-dit Cédric qui pleurait.
Il posa son autre main sur la côte gauche de son ami. Il s'était approché jusqu'à ce que son bras soit replier. Il fit glisser ses doigts jusqu'à son oreille et les passa derrière sa nuque. Il lui souriait, les yeux en amande. Il s'approcha encore.
Il lui dit qu'il avait un cadeau à lui faire.
Il approcha sa bouche de l'oreille droite de Cédric et lui murmura qu'il l'aimait. Il lui dit que dès le premier jour, il n'avait jamais espéré vivre un moment pareil.
Il posa alors ses lèvres sur son lobe.
Je crus que je devais lui dire quelque chose. Non pas que je l'aimais. Mais qu'il pourrait toujours compter sur moi s'il en avait besoin. Je devais le lui dire, lui dire…
Je mis un pied devant l'autre.
Je sentais le sol. Le sol ? Seigneur, le sol tremblait.
Leurs lèvres se touchaient presque, mais le sol s'affaissait.
Je leur criai de partir, mais il était déjà trop tard.
J'eus juste le temps de retenir Thomas en lui meurtrisant le bras. Je vis une masse de terre s'écraser sur une vague qui venait terminer son pélérinage au pied de la falaise.
Emilie vint m'aider à remonter Thomas. Je me relevai et cherchai du regard où était Cédric.
Je compris juste un peu plus tard qu'il était en bas, mais je ne le voyais pas. Thomas, à genoux, pleurait à chaudes larmes. Il criait aussi. Il me dit qu'il était sous la terre. Qu'il avait perdu l'équilibre au moment où le bloc s'était détaché et qu'il était tombé bien avant que la terre ne tombe à son tour. Qu'il n'avait pas su le retenir.
Il avait basculé bien avant la crête. Il est donc arrivé avant se qu'il l'avait enseveli.
Je regardai en bas. Il n'y avait rien. Ici, il n'y avait qu'une femme qui pleurait, un homme à ses pieds qui ne demandait qu'à verser toutes les larmes de son corps en jurant à l'injustice, et un autre homme qui n'arrivait pas à réaliser ce qui venait justement de lui arriver.

Selon Cédric.

Il fallait se dépêcher. Il ne fallait pas que tout le monde m'entende. Plus vite je lui parlerais, plus vite j'en aurais fini. Le hall était devant moi. Mes jambes n'allaient plus me soutenir longtemps. Je passai le sas et avançai vers le milieu du hall. Je ne le voyais pas. Où était-il ? Mais où était-il ?
Les femmes de ménage étaient encore là à effectuer leur labeur. Il n'était pas là. Pourtant il arrivait toujours en avance. Je voyais Emilie qui cherchait aussi. Nous avançâmes un peu plus loin et…
Il était là. Assis calmement à lire. J'avais les mains moites et tremblantes. Mon cahier subissait une pression si forte, une vraie torture. Il souffrait autant que moi.
Je ne savais pas comment je me sentais. C'était comme si des papillons volaient dans mon estomac. C'était comme si mon coeur s'était arrêté de battre. C'était comme s'il n'y avait plus que lui et moi, sans rien autour. C'était comme si je marchais dans la rue et que tout le monde me regardait marcher. Ils me regardaient par leurs fenêtres, par les vitrines, de derrière leurs vitres de voiture…
Il fallait que je lui parle, mais que lui dire ? Il était tellement absorbé par son livre. Je ne voulais pas le dér…
Il me regardait. Il avait levé les yeux et me regardait avec son sourire.
Emilie tira sur mon bras pour nous rapprocher de lui.
Je, je… Non, pas maintenant. Attends un peu. Il me faut plus de temps.
En un éclair, il fit la bise à Emilie, puis me serra la main en guise de salutation. Je savais très bien que c'était quelqu'un qui ne parlait pas beaucoup. Alors je lui souris.
Emilie retira son bras du mien. Elle avait vu que je tremblais. Elle avait vu aussi mon cahier et voulait me le prendre.
Non ! Pas mon cahier ! Je dégageai de ses mains le peu de surface qu'elle tenait. Je vis dans son regard de la peur. Excuse moi. Excuse moi, je ne voulais pas.
Il fallait que je lui dise quelque chose. N'importe quoi, mais quelque chose. Il fallait que je lui demande : Peut-on s'éloigner, s'il te plaît ? Il faut que je te dise quelque chose. Maintenant je devais lui sourire.
Je compris à son hochement de tête qu'il m'avait entendu. Nous marchâmes vers un endroit plus isolé et nous nous asseyâmes sur un banc. Allez, souris-lui.
Parle-lui de tout et de rien. Et les examens, comment cela s'est-il passé ? Souris, fais voir tes dents.
Il me parlait mais je ne comprenais pas ce qu'il me disait. Moi, ce n'était pas terrible, mes examens. Il me fallait sourire.
Il m'a dit de ne pas m'en faire, enfin je crois. Il faut que je te dise une chose qui me tient à coeur depuis un long moment.
Il ne sourit plus. Pourquoi il ne sourit plus ?
Ca y est, c'est revenu. Il me sourit à nouveau.
Il faut le lui dire. Regarde-moi dans les yeux.
Il avait compris. Il savait où je voulais en venir. Son expression montrait la mort. Je ne pouvais pas lui dire. Pas maintenant, pas ici, je ne pouvais pas lui avouer.
Il me regardait. C'était la première fois que je le regardais comme cela. La première fois que je me retrouvais presque seul en tête à tête avec lui. Je ne savais pas comment commencer. Que dire pour entamer cette discussion ?
Et s'il rigolait. Je ne pourrais plus vivre avec cette image de lui. Tu vois Thomas, je n'ai pas assez de courage pour te dire trois simples mots.
Et s'il me regardait avec un visage livide. La bouche ouverte, je répéterais les mêmes mots, des « Je », des « Tu », ou encore de très longs « Euh ». Je ne pourrais pas rester là à le voir comme cela.
Et si tu lui disais simplement que…
Bon, allez, dis-lui quelque chose. Ne reste pas là planté, à compter les secondes qui passent.
C'est simple pourtant. Je t'aime.
Je… Je l'ai dit. Oh non. Je… Je ne voulais pas.
Il ne dit rien. Je voyais dans ses yeux de l'étonnement. Il ne disait rien. Attends qu'il dise quelque chose.
Oui, j'attendrai. Je resterai là à attendre, jusqu'à la mort. Et même dans la mort j'attendrai sa réponse. Rien.
Mais réponds-moi bon sang.
Si tu ne me dis rien, je vais m'en aller. Je te préviens, je pars si tu ne me dis rien.
Je te préviens. Oui, je te préviens.
Emilie posa une main sur mon avant-bras. Non, ne me touche pas. Cours, cours le plus vite possible, le plus loin possible. Ne t'arrête pas. Je me retournai. Je sortis du bâtiment. A droite, puis à gauche, encore à droite, il fallait que je les sème.
Ce ne fut pas facile. Ils étaient juste derrière moi.
Et mon cahier qui était dans mes mains. Je l'ouvris, repérai la dernière page. Je la déchirai, la mis dans ma poche, toute chiffonnée. Le cahier ? Je n'en avais plus trop besoin. J'avais écrit dedans pour la dernière fois de toute façon.
Là, une poubelle. Je jetai le journal dedans. Oublie. Il fallait oublier comme pour tous les autres.
Je ne me retournais plus. Je ne savais même pas s'ils me suivaient. Il fallait que j'y retourne. Il n'y avait que là-bas où j'arrivais à me calmer.
Je parcourus quatre bons kilomètres avant d'arriver au pied de la falaise. J'empruntai la sente des douaniers. Je commençai à voir le blockhaus. Je le contournai et arrivai au bord de la falaise. D'ici, personne ne pourrait me voir du chemin. J'allais enfin pouvoir me calmer.
Debout, il fallait que je reste debout.
Je savais bien quelle tête il aurait. Je savais bien qu'il n'éprouvait pour moi aucun amour. Il ne m'avait jamais regardé comme moi je l'avais regardé. J'étais seul et je resterai seul. C'était ma seule façon de vivre. Je ne pourrais pas former un couple d'amour. Au mieux ce serait un couple d'amitié profonde… Pas un couple d'amour… Amour… Quelle notion proche du désespoir.
Je le savais depuis le premier jour où je l'avais rencontré. Je ne lui appartiendrai jamais, car jamais il ne m'aimera. Et moi qui espérais tant. Moi qui suppliais un quelconque dieu pour qu'il me vienne en aide. Mais je n'avais pas eu de réponse. Aucun espoir ne m'avait été donné. Dès le début, la boîte devait être vide. Je n'étais pas comme elle. Moi, je savais ce qu'il y avait dedans. Douleur, souffrance, haine. Honte, mépris et aucun espoir. Je ne suis pas Pandore, loin de là. Je n'ouvre pas la boîte par curiosité mais par obligation alors que tout espoir est inéxistant.
Je l'avais bien vu. Il souriait. Il était heureux de vivre sans savoir. Et avant même que je lui dise, il avait su. Oui… A sa façon de me regarder… Ses yeux remplis de mépris.
Je n'avais jamais su cacher mes sentiments aux autres. Je ne voyais pas pourquoi j'y serais arrivé justement à ce moment précis de ma vie. Alors avant même qu'il n'entende mes mots, il savait ce que j'allais lui dire. Alors pourquoi n'avait-il rien dit ?
Voulait-il se retenir de rire ? Ou bien…
Non… Je crois bien qu'il voulait rire. Mais il s'était retenu. Comme toujours, il avait su faire preuve de tact. Voilà un homme qui fera des envieux et des envieuses. Je ne comprends pas pourquoi de tels hommes existent. Ils ne sont là que pour pourrir l'existence des faibles, comme moi.
Dans la poche de mon pantalon, il y avait la dernière page de mon journal. Etait-ce prémonitoire ? Devais-je vraiment continuer à vivre comme ça ? Dans la peur d'aimer ?
Pourquoi continuer à vivre ? Oui, pourquoi ?
Etaient-ce des larmes qui coulaient le long de mes joues ? Oui, évidemment.
Mais pourquoi pleurer ? Pour lui ? Je n'en voyais plus l'utilité. Il ne m'aimerait jamais, c'était sûr. Fin du message, passons à autre chose.
Mais pourquoi pleurer alors ? Pour moi ? Oui, probablement pour moi. Je serais en bas dans pas longtemps. Alors je pleurais sur ma perte. Car lorsque je ne serai plus là, qui pleurera sur moi ? Il n'y avait que moi qui pouvait pleurer ma perte. Oui, uniquement moi.
Tiens ? En bas il y avait Emilie qui me faisait des signes. Elle criait quelque chose. Je n'entendais rien. Le vent soufflait trop fort. Venait-elle pour moi ? Pleurerait-elle sur moi, sur ma dépouille ?
De toute façon je n'avais plus de raison de vivre. Je ne voyais pas pourquoi je resterais là.
Le vent soufflait trop fort, et je ne parvins pas à retenir la feuille de mon journal, qui partit s'envoler vers un endroit inconnu. Je la rejoindrai. Oui, je te rejoindrai.
Emilie est arrivée, elle était essoufflée. Elle s'assit au sol. Elle commençait à parler de quelque chose. Je l'entendais mais je ne comprenais pas ce qu'elle disait.
Que le sol était bien loin au-dessous.
Elle a appelé quelqu'un. Enfin je crois. Peut-être les pompiers. Ou la police. Moi c'est ce que je ferais si j'avais un ami qui allait sauter. Mais moi-même, allais-je vraiment sauter ?
Oui, sauter était ce qui m'importait le plus.
Emilie continuait toujours à me parler. Elle reçut un appel. Elle guida quelqu'un jusque là où nous étions.
Oui, c'était lui. Celui qui avait changé ma vie. Je le voyais déjà arriver. Il contourna le blockhaus. Il s'approcha de moi. Je ne voulais pas le voir.
Non Emilie, ce n'était en aucun cas l'exception qui devait briser ta promesse.
Non, ce n'est pas toi, Damien, le sujet de mon amour.
Non, ce n'est pas toi. C'est Thomas.
Avais-je encore parlé ? Oui, c'était sûr, je n'étais pas moi-même. Il y avait mon inconscient qui prenait le pas sur mon conscient. Je ne voyais donc plus de raison de vivre.
J'allais encore attendre un peu. Pour qu'il me voie. Lui que je n'aurai jamais. Il m'a semblé qu'elle l'appelait.
Oui, il allait venir. J'allais le voir une dernière fois. Oui, il allait venir. Et je pourrai partir sans peine.
Oui, il venait. Il allait être là d'une minute à l'autre. Qu'allait-il me dire ?
Il arriva. Il était là. Il lança mon journal dans le vide. Il était tout près de moi. Il se pencha vers moi. Il me souffla des mots à l'oreille. Il me dit qu'il ne m'aimera jamais.
Il me sourit en disant cela. Ce n'était pas un ange, c'était un vrai démon. Oui, un démon ayant pris l'apparence d'un ange. Il continua à me parler. Je pleurais. Mes larmes coulaient de plus en plus. Mes jambes devenaient de plus en plus faibles. Il me dit que des personnes comme moi ne devraient pas exister. Que des gens pensant à de jeunes enfants n'avaient pas leur place en ce monde et que j'avais de la chance. Il me dit qu'il avait balancé mon journal car tout ce que j'avais écrit était mon propre reflet. Il me dit que j'étais de la merde.
Je crois que c'était le pire des démons qui puissent exister sur Terre. Oui, c'était un démon. Je n'avais plus qu'une chose à faire.
Il était encore penché à mon oreille.
Je tournai ma tête vers lui. Il me sourit. Je devais avoir les yeux rouges mais je lui rendis son sourire. A ce moment, il se redressa. Ne sourit plus du tout. Il me regardait, effrayé.
Je me penchai alors à mon tour à son oreille. Mes lèvres bougèrent. Je ne lui dis qu'un mot, puis j'avançai d'un pas.
Le sol tremblait. Que c'était agréable de savoir qu'il n'y avait pas que moi qui soit faible en ce moment. Je sentis la terre s'ouvrir sous mes pieds.
Thomas, lui, avait déjà reculé pour ne pas être emporté.
Oui, il m'avait entendu. Je savais qu'il m'avait entendu. Je l'avais vu dans ses yeux lorsque je lui avais dit. Il me haïssait pour ce que j'étais. Mais moi je ne le haïssais pas pour ce qu'il m'avait dit.
Ses yeux avaient changé. Ils n'étaient plus des yeux de démon. C'étaient des yeux d'ange. Mais arrivera-t-il à vivre avec ce simple mot ? Un mot insignifiant, comparé au « Je t'aime ».
Arrivera-t-il à vivre avec ?
Que c'était agréable. J'étais libre maintenant. Libre de vivre. Libre de mourir.
Thomas, je te le redis encore une fois, et vis avec… Merc…

Selon Thomas.

Fin.